Bonsoir à tous et à toutes,
J'espère que vous allez bien.
Pour une fois, aujourd'hui, ce n'est pas moi qui vais parler ! En effet, pour la première fois sur le petit monde du livre jeunesse,
vous allez avoir accès à une interview ! Je m'explique :
Dominique Marion, l'auteur de Dracula, et Jérémie Fleury,
l'illustrateur (pour les retardataires, cliquez ici
: Une histoire de
vampire...), ont eu la gentillesse de répondre à mes questions, et ont bien voulu que je partage leurs réponses sur ce blog. Et voici donc le résultat !
Comment
avez-vous eu l'idée de ce projet ? Est-ce vous qui l'avez proposé aux Editions Auzou ?
DM : Pour ma
part, j'avais déjà travaillé avec Auzou sur une adaptation de Roméo & Juliette pour les enfants avec Martina Peluso aux pinceaux, qui est italienne. Cela c'était plutôt bien passé, malgré le
fait qu'elle ne parle pas le français ni moi l'italien. Nous avons réussi à faire quelque chose que je trouve très joli. L'album avait pas mal marché, puisqu'il avait été réimprimé, puis traduit
pour le brésil et l'argentine.
Auzou m'a
rappelé cette année pour Dracula, ça ne partait donc pas de moi, mais le défi m'a séduit d'emblée. Quelque part c'est l'exemple même du livre pour adultes. La forme épistolaire du livre de Bram
Stoker autant que le thème donnent l'image d'un livre impossible à adapter aux formats jeunesse. Mais avec Jérémie nous partageons une passion pour le début de siècle et me concernant j'adore ce
style d'écriture, le soin apporté aux formules, la délicatesse dans le traitement de la violence, le côté désuet et la complexité des relations amoureuses. C'est tellement différent de notre
époque.
JF : Je connais les éditions Auzou depuis quelques années et j'ai eu l'occasion de les rencontrer au Salon du Livre et de la Presse Jeunesse de Montreuil, en 2011. Un jour, contre toute attente,
je reçois un email de leur part pour me proposer de travailler sur un grand album jeunesse : l'adaptation de Dracula d'après Bram Stoker. Adorant le style de la fin du 19ème siècle et les
histoires de vampires, je me faisais une joie de travailler sur l'adaptation de Dracula comme premier album. J'ai immédiatement accepté.
Pour faire
cet album, avez-vous beaucoup communiqué entre-vous pour que texte et illustrations correspondent bien ?
DM
: Honnêtement plus par plaisir que par nécessité. Le travail de Jérémie est admirable, je suis fan de son coup de crayon. Je ne me vois vraiment pas le "corriger" dans ses intentions.
Ensuite, L'écriture d'un livre jeunesse ne peut être indépendant de la forme picturale, puisqu'il s'adresse à des enfants qui à chaque phrase associe un élément dessiné en demandant : "Maman
c'est quoi un... Et ça c'est quoi ?". Il faut rester dans la logique du livre qui est lu par les parents assis dans le lit avant d'aller dormir. Il s'agit d'inspirer des rêves.
Comme pour
le précédent, je me suis donc efforcé de rendre le texte suffisamment imagé pour lui faciliter la tâche. Aude, qui m'avait confié Roméo & Juliette m'avait répété ce conseil et elle avait
parfaitement raison.
Par
ailleurs, pour Dracula nous avons eu les mêmes problématiques. Il y a pas mal de décès dans ces deux livres, comment édulcorer le propos ? Je crois que l'on s'en est bien tiré d'une manière
générale, et Jérémie encore plus dans la mesure où il est difficile d'écrire sur les vampires, en évitant les scènes d'horreur, il est d'autant plus compliqué de parler de vampires en évitant de
montrer du sang. Nous avons remarqué que si il y a des morts dans tous les grands Disney ou presque, on ne voit jamais de sang non plus. Bien sûr, dans son film, Coppola a débuté avec une
bataille sanguinaire en ombre chinoise, des scènes d'empalements, le tout suivi d'une chapelle qui se transformait en fontaine de sang. Impossible de reproduire ce genre d'effet sur un projet
comme celui ci. On doit réinventer. D'ailleurs en se limitant volontairement, nous sommes restés plus proche du texte d'origine qui est nettement moins violent que le film.
JF : Pour cet album, nous n'avons pas trop communiqué. À vrai dire, je crois que Dominique n'a pu voir les premières illustrations qu'au bout de quelques semaines. Je pense que ça a dû être une
sacré surprise pour lui de voir pour la première fois les images qui allaient accompagner son texte. Quand j'ai lu le découpage du livre, Dominique a su trouver les mots pour que je sois inspiré.
Pour chaque passage je n'ai pas eu de difficultés à trouver ce que je voulais illustrer. C'était avec plaisir que j'ai reçu un message de sa part me disant qu'il avait beaucoup apprécié les
images. Depuis, nous échangeons régulièrement !
Pour M.
Marion : Avez-vous relu le roman pour écrire ce texte ?
Hé oui,
inévitablement, puisque Maya de chez Auzou m'a demandé autant que faire se peut, de coller plus au livre de Bram Stoker qu'au film, ce qui aurait été tentant bien sûr. Le roman d'origine m'a
vraiment surpris. Outre les cinq cents pages du roman d'origine que j'ai dû lire en quelques jours, j'ai redécouvert que c'était d'abord une compilation de courriers. Il n'y a aucune narration
telle qu'on en trouve dans tous les romans actuels. En plus des choix de coupes, de style d'écriture, il fallait également adapter la forme.
Comment
faites-vous pour réussir à "condenser" une si longue histoire ? Tout en l'adaptant en plus pour un jeune public ?
Pour moi, le
meilleur moment pour écrire est la nuit. J'ai toujours eut les meilleures idées le soir. Je me relis le lendemain et parfois je me dis "wouaw" j'ai vraiment écrit ça ? Je crois que ça me met dans
un état particulier, presqu'une transe. Dans le cas de Dracula cela fonctionnait encore mieux. Le silence et l'obscurité collaient bien à l'esprit du livre. Je repense au passage où Jonathan
traverse la forêt en calèche au milieu des loups. Je me souviens d'avoir frissonné en le lisant, et plus encore en l'écrivant : j'étais presque en Transylvanie au pied du château. Le roman en
main, tout en lisant je prenais des notes, choisissant un passage qui me paraissait capital, en écartant un autre. Il ne s'agit pas à proprement parlé d'un résumé, on ne peut, vu le volume du
livre éviter les partis pris personnels. Il faut faire de vrais choix qui ne sont pas tous dictés par la raison ou la logique mais qui sont aussi affaire de goûts. Une fois ce travail
préparatoire effectué, j'ai écrit une première mouture trois fois trop longue qui respectait la forme en courriers de l'auteur et reproduisait assez bien le style de Stoker à mon oreille. Ensuite
il a fallut faire des coupes de plus en plus sévères afin de respecter le format de texte correspondant à un album. C'est toujours le pire moment pour un auteur. Chaque mot en moins est une
blessure d'amour propre, on a l'impression d'affaiblir le sens et la forme du texte, mais c'est un exercice obligatoire et même parfois salutaire. Le talent de l'éditeur et les relations que l'on
a avec lui, qui tiennent parfois de la négociation mot par mot, sont prépondérants pour la bonne avancée du projet. En dernier ressort, c'est parfois l'éditeur qui tranche tout en demandant si ça
ne me dérange pas. Il faut savoir écouter. On perd rapidement son objectivité face au bébé.
Pour M.
Fleury : Qu'est-ce qui vous a inspiré pour les tenues des personnages ?
JF : Depuis quelques années, je suis très attiré par la mode du 19ème et début 20ème siècle. Je trouve l'esthétique vraiment belle, au point que j'ai une sorte de nostalgie d'une époque au cours
de laquelle je n'ai pas vécu. En plus d'utiliser mes connaissances, je me suis documenté avec des livres richement illustrés sur l'histoire de la mode au cours des siècles. J'ai aussi eu
l'occasion de me procurer des magazines de mode qui datent de 1885, une vraie mine d'or pour l'inspiration !
Comment
faites-vous vos illustrations ?
JF : Je vais vous parler du processus que j'ai utilisé pour Dracula, mais il arrive que j'utilise d'autres façons de faire en utilisant d'autres techniques, parfois plus traditionnelles. Pour
commencer, je réalise des croquis rapides pour me donner l'idée générale de l'illustration : composition, placement des éléments principaux, orientation de la lumière et indications de couleurs.
Après avoir trouvé l'idée, je dessine un crayonné détaillé au crayon, en respectant le format de l'album. Pour l'étape couleur, je numérise le crayonné et le mets en couleur par ordinateur
à l'aide d'une tablette graphique. Quand je peins, j'ai les mêmes réflexes que lorsque j'utilise mes vrais pinceaux, ce qui donne un peu cet effet gouache et acrylique. Globalement, j'ai joué sur
plusieurs gammes colorées. Nous retrouverons principalement des teintes rouges-orangées qui contrastent avec des tons bleus-verts. Le bleu est une couleur froide, presque fantomatique, qui
correspond bien aux passages où la présence du vampire est très forte (La scène du carrosse, Mina et Lucy dans les jardins, Lucy avec le Dr Helsing, Lucy dans son cercueil
...).
Dernière
question, album oblige : Que pensez-vous des vampires en général, et de Dracula en particulier ?
DM : Je suis
un amoureux de la série des Lestat. Je trouve l'écriture d'Anne Rice parfaitement équilibrée entre roman facile à lire et vraie œuvre littéraire avec plusieurs degrés de lecture. Je n'ai pas lu
Twillight, mais je les ai vus. J'ignore si les livres sont du même ton, mais je trouve le propos plus "léger", répétitif lorsqu'il est cantonné aux affres d'un couple d'adolescents. Mais ça ne
m'a pas empêché d'aller les voir au cinéma. Récemment, j'ai également vu Priest et Daybreakers, pas mal du tout. Mais je suis bon public en ce qui concerne la SF et le surnaturel, même si en
revanche je ne suis pas fan de films d'horreur. Evidemment aujourd'hui les effets spéciaux rendent ces films beaucoup plus crédibles pour peu que le scénario soit pensé, à la manière de
"entretien avec un vampire". Lorsque les gens disent "vampires" ils pensent canines, hémorragie et... Immortalité. Anne Rice, justement avait fait l'inverse : penser d'abord à l'aspect
"immortalité" en tant que générateur de troubles psychologiques, sans oublier de donner au passage une nouvelle dimension aux "couples" de vampires, ce que l'on retrouve très bien dans le film,
où une certaine ambigüité nait entre Antonio Banderas et Brad Pitt, proches de l'homosexualité. Lutter contre la mort est une horreur, ne pouvoir mourir en devenait une, même débarrassée du
besoin irrépressible de sang pour se nourrir, certains vampires décidaient de se retirer du monde par lassitude, déconnectés d'une époque pour un temps, perdus. Aujourd'hui on retrouve enfin le
vampire d'origine, dangereux, éduqué, profond, déchiré... Terriblement tentant finalement. Il a même quelque chose en plus quand il en vient à protéger l'humanité au nom de sa propre survie, on
peut y voir un parallèle avec l'homme écologiste, dépassé mais soucieux. Personnellement j'ai quelques thèmes de prédilection dans mes lectures dont font partie les vampires... Bien sûr.
JF : Le vampire est un mythe qui m'a toujours fasciné et éveillé ma curiosité. Au début, je le considérais comme une créature malfaisante et effrayante. Mais au fil de mes lectures et des films
que j'ai pu voir, ma vision du mythe à changé. Le vampire, m'apparait maintenant comme un être d'une beauté fascinante. À notre image, on le retrouve aujourd'hui avec une conscience, le suceur de
sang dépasse sa condition de créature de la nuit. Sa malédiction s'est transformée en une source de pouvoir attirant. D'ailleurs, les livres d’Anne Rice ont longtemps été mes livres de chevet.
Dracula de Bram Stoker est une œuvre majeure, fondatrice, qui a abouti à l'effervescence de beaucoup de dérivés du genre. Mais pour moi il restera toujours la figure emblématique du vampire, la
plus charismatique d'entre toutes.
Et voila ! J'espère que vous avez apprécié cette petite interview !
Vraiment un grand, grand merci à eux pour leur temps et leur gentillesse.
Je leur souhaite beaucoup de succès avec Dracula, mais aussi avec leurs histoires futures !
Sur ce, je vous dis bonne semaine à tous… et évitez de vous balader seul après la tombée de la nuit… on ne sait jamais sur qui l’on
peut tomber… !